L’autonomie

En commençant à travailler en dans une classe unique, je mettais en avant dans le projet pédagogique la liberté. Après quelques mois dans ce paradigme, je me suis rendu compte que certains enfants (les moins aidés à la maison), le groupe et moi-même ne nous y retrouvions pas.
Émilie Roudier avait eu les mêmes difficultés dans son école les coop’cinelles, et une discussion avec elle m’avait permis de changer ma vision des choses. Nous ne sommes vraiment libres que quand nous sommes autonomes.

1. Qu’est-ce que l’autonomie ?

Pour commencer, j’aimerais définir précisément ce mot, employé souvent, mais chacun y met un sens différent. Très souvent ce mot est utilisé pour définir des enfants capables d’exécuter les tâches prévues par l’adulte, il suffit de lire les blogs d’enseignants pour finir de s’en convaincre.

Pour ma part j’emploie le mot autonomie dans le sens défini par Pieron, en 1963 :

« Organisation scolaire telle que les écoliers participent, dans une mesure plus ou moins grande, au choix des matières enseignées et à la discipline générale de l’école, de manière à apprendre à se gouverner eux-mêmes »

PEIRON 1963), l’autonomie des écoliers

Mais j’adhère également aux propos de Paul Le Bohec quand il évoque une nécessité pour l’enfant de ne pas rester enfermer dans ses zones de confort, qu’il doit au moins essayer tout ce qui s’offre à lui pour avoir un choix éclairé.

Paul appelle cela « le forçage de liberté »

LE BOHEC (2007), l’école réparatrice des destins

Si on laisse les enfants « libres », on les abandonne dans leurs conditionnements. Il faut donc les contre-conditionner. Il faut permettre de découvrir pleinement

LE BOHEC (1976), le planning de lancement

Ou alors aux idées de John Dewey1

La caractéristique essentielle de son œuvre est celle d’une psychologie orientée vers l’éducation. On trouve chez lui une croyance bien ancrée en la toute puissance de l’éducation destinée à faire de libres citoyens dans une démocratie libre. Le concept de culture est tout à fait étranger à Dewey. Il faut donc d’abord que l’école crée une ambiance sociale. Il faut, en, outre, que l’école organise la liberté des élèves et leur permette, par l’effort intelligent, d’apprendre à penser. Elle peut y arriver par la création de l’ambiance et en donnant l’autonomie aux écoliers.

BENP n°23, les pionniers de l’éducation nouvelle

Pour moi donc, l’autonomie est la capacité de l’enfant à gérer ses besoins, son espace et plus tard sa vie. C’est cet état qui fait qu’ensuite on peut être vraiment libre. La liberté ne peut être, selon moi, sans autonomie. J’ai très souvent vu des enfants papillonner, et cela est normal selon moi. On ne peut pas s’adapter à une nouvelle structure sans passer par un état d’observation intense et indispensable pour prendre la mesure de la structure. Seulement si cet état perdure certains enfants se sont retrouvés dans un état d’insécurité très fort avec quelquefois des enfants perdant toute confiance car pas adaptés à l’environnement. Ces enfants-là ont eu besoin de mon aide, de mon tutorat pour devenir plus confiants dans leurs possibilités. Du moment où ils se sont créés des repères, qu’ils sont devenus autonomes dans la structure, ils ont commencé à agrandir leurs cercles personnels comme dirait Bernard Collot. Je rajouterai une citation de Paolo Freire, qui place l’autonomie au centre de son approche pédagogique afin que l’apprenant puisse s’adapter à la « réalité » si souvent mise en avant par un discours de laisser-aller.

« L’idéologie fataliste et immobilisante qui anime le discours néolibéral parcourt librement le monde. Avec des airs de postmodernité, elle insiste pour nous convaincre que nous ne pouvons rien contre la réalité qui, d’historique et sociale, passe pour être ou devenir “quasi naturelle”. Des phrases comme “la réalité est ainsi même, que pouvons-nous faire ?” ou “le chômage dans le monde est une fatalité de la fin du siècle” rendent compte de cette idéologie et de son indiscutable volonté immobilisatrice. De son point de vue, cette idéologie n’offre qu’une seule sortie pour la pratique éducative : adapter l’apprenant à cette réalité qui ne peut être changée. II en découle la nécessité de l’entraînement technique indispensable à l’adaptation de l’apprenant, à sa survie. Ce livre est un choix décisif contre cette idéologie qui nous nie et nous humilie en tant qu’être humain. Il nécessite que le lecteur ou la lectrice s’y investisse dans une attitude critique avec une curiosité croissante. »

FREIRE (2005), la pédagogie de l’autonomie

Il faut pour prendre en compte chacun et chacune et s’assurer que tout le monde pourra s’adapter, à son rythme, à l ‘environnement pour devenir libres d’exploiter à sa pleine mesure toutes les possibilités offertes par le milieu (groupe, espace, communauté éducative, etc.)

2. Historique du changement dans la classe.

Quand je suis arrivé dans le groupe, mon projet avait comme entrée[J’ai approfondi la question dans ce podcast[/efn_note] : la liberté.

Le groupe a fonctionné tant bien que mal avec cette vision. Au fur et à mesure que le temps avançait je me suis aperçu qu’une certaine « tyrannie » advenait au sein des enfants. Les plus populaires prenaient le dessus et imposaient leurs choix. Je ne m’en suis pas aperçu de suite mais quelque chose ne fonctionnait pas. En fin d’année civile, j’ai eu la chance de rencontre Émilie Roudier à une porte ouverte de son école, les Coop’cinelles à Crest, et nous avons longuement discuté de cet état. Elle avait rencontré le même problème avec certains enfants et avait elle aussi changé sa vision des choses. En rentrant de cette rencontre, j’ai également transformé le mot liberté, en autonomie. Cela a eu un effet particulièrement positif sur tout le groupe.

Résultats au sein du groupe

L’adulte

Je me suis retrouvé dans une position toute autre. j’ai accepté d’avoir de l’expérience par rapport aux enfants, de leur apporter ce que je savais.

Je ne leur demandais plus seulement de savoir me trouver quand ils en avaient besoin (difficile pour beaucoup), mais je me suis permis d’intervenir, d’apporter mon avis, mon aide.

Comme disait Bernard Collot, je suis devenu un promeneur dans la classe, et également une force de proposition.

Cette part de l’adulte, encore de nos jours discutée au sein de l’ICEM2 , est devenue une grande partie de mon travail. Est-ce que ce que je fais est pertinent au moment où je le fais. Chaque prise de décision est revue ensuite pour savoir si elle était judicieuse et si elle a eu les effets escomptés.

Les enfants

Les enfants se sont retrouvés dans une ambiance plus posée.

Les décisions ont commencé à être prises à l’unanimité et un plus grand nombre d’enfants s’est retrouvé dans cette organisation.

Les plus autonomes n’ont fait que renforcer leur autonomie et ont commencé à justifier leurs choix, à prendre la pleine mesure du dispositif.

Ceux en cours d’autonomisation ont accepté d’être accompagné par l’adulte ou un enfant afin de pouvoir se libérer de cette aide.

Pour les moins autonomes je me suis permis de les guider de manière plus rapprochée afin de leur permettre devenir maitres de leurs choix de leurs envies en essayant de les responsabiliser dans la mesure de leurs possibilités.

Pour finir, je ne regrette pas l’adoption de ce changement dans la classe. Tout le monde s’y est retrouvé et cela m’a permis de me retrouver au plus près de ceux qui en ont besoin.


  1. Wikipedia, John Dewey
  2. La part du maitre (recherche sur le site de l’ICEM)

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